Patrice, peux-tu te présenter ?
Patrice Lagré, j’ai 49 ans et je suis installé sur Plessé depuis 1996, en GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) pendant 21 ans et depuis 3 ans en individuel. Depuis plusieurs années, adepte de l’agroforesterie, avec plantation de haies sur toutes les parcelles, pour une valorisation du bois, autant pour la maison d’habitation que sur l’exploitation. Je suis également co-président de la CAP44 (Coopérative d'installation en Agriculture Paysanne) :
Quelques mots sur CAP44 :
La coopérative a pour objet de :
- Sécuriser le parcours à l’installation sur des projets créatifs par l’acquisition d’un statut, le soutien d’un réseau dans un cadre collectif
- Permettre une professionnalisation des porteurs de projet et une insertion territoriale, clé d’une installation pérenne et solide
- Rendre accessible l’installation agricole à des porteurs de projet qui en sont aujourd’hui écartés faute de formation, d’insertion locale, de compétences entrepreneuriales, de capacité de financement ou tout simplement d’accès au foncier et donc la démultiplier.
- Répondre aux demandes de collectivités territoriales qui souhaitent s’investir dans le soutien d’une agriculture plurielle de leur territoire.
Mon exploitation, en production laitière est de type familial. Elle fait 60 hectares et produit 3 à 400 000 litres de lait, en agriculture biologique. Il y a principalement de l’herbe et 7 à 8 hectares de maïs et de céréales. Tout ce qui est produit sur l’exploitation est valorisé en auto consommation, c’est-à-dire qu’il est valorisé par les animaux. J’achète un peu d’aliment l’hiver pour faire le complément et un peu de paille. Je travaille avec un ouvrier à mi-temps avec une autre exploitation et un apprenti.
Que veut dire "type familial?"
Parce que venant de mes parents en partie mais surtout pour le mode d’exploitation, c’est-à-dire que je ne prends pas de la terre pour produire mais pour l’auto valoriser par les animaux, je ne cherche pas à avoir des excédents. De type familial c’est aussi la défense de l’agriculture paysanne qui défend l’idée d’habiter un pays et de valoriser tout ce qui s’y trouve, un partage du savoir-faire et le maintien des actifs apprentis par la transmission. Je défends une bonne gestion du foncier, je préfère avoir un voisin plutôt que des terres à perte de vue. C’est une exploitation respectueuse de l’environnement, en production laitière biologique depuis 2005.
Je suis à la CUMA (Coopérative d’Utilisation des Machines Agricoles) qui a une 50ène d’adhérents et 4 salariés ainsi qu’un apprenti. Tous les travaux concernant les cultures, les labours, les semis, sont effectués par la CUMA.
Par rapport à la situation actuelle du confinement, comment cela se passe-t-il pour toi ?
Un 1er point : celui de la procédure liée aux gestes barrière, du fait que je suis employeur de main d’œuvre (Laver ses mains avec du produit, lingettes imbibées d’alcool, désinfection régulière des espaces utilisés).
Une Règle appliquée : l’accès à l’exploitation est refusé à toutes personnes extérieures.
Le matin, je demande au salarié et à l’apprenti comment cela se passe chez eux, s’ils ont des doutes, des inquiétudes par rapport à leur famille, si l’un des membres étaient touchés ou avaient été en contact avec une personne malade. Le plus important pour moi est la santé et celle de leurs proches et s’ils devaient être confinés, ils auraient quand même la totalité de leur salaire. Ce ne doit pas être un poids pour eux au niveau de leur travail et je leur dis. Les rassurer sur la garantie de pouvoir rester en confinement sans problème financier fait partie de mes responsabilités.
Pour la CUMA, là aussi les activités sont réduites, il n’y a plus de réunions. Nous sommes aussi très rigoureux, après chaque utilisation du matériel on désinfecte les locaux, avant et après leur utilisation. Les gestes barrières ont été appliqués dès le début et les gens sont très impliqués. Autant par rapport aux salariés qu’aux adhérents.
Un 2ème point : La récolte du lait par le laitier, lui aussi respecte les gestes barrières. Le lieu de récupération du lait est désinfecté avant et après son passage. De plus il va sur plusieurs exploitations d’où l’importance de l’application de ces gestes barrières.
Le lait va dans les coopératives et aussi en circuits courts. Pour ces derniers, un travail a été fait par la Confédération Paysanne et différents partenaires comme le GAB (Groupement des Agriculteurs Biologiques), CIVAM (Campagnes vivantes) et Terroirs 44 pour rétablir les marchés dans le département => "Commercialisation en circuits courts" ; Ce fut un gros travail en partenariat avec les maires et le préfet qui lui était d’accord pour que l’on rouvre, dans le respect des gestes barrières. Ce fut un travail exceptionnel sur tout le département, où tout le monde a joué le jeu. Ce groupement est constitué de ceux qui défendent l’agriculture paysanne et ses valeurs fortes.
Dans certaines communes, les gens ne vivent que par les marchés parce qu’il n’y a plus de magasins. Les anciens souffrent de cette désertification d’autant plus s’il n’y a plus de marchés et leur isolement est renforcé.
Dans certaines communes, les commandes sont faites par internet, le producteur prépare le panier et va les distribuer à domicile. Comme une « Amap mobile ». Et cela donne à voir de belles solidarités, qui se font naturellement, un exemple fort de ce que permet ces livraisons en ces temps de confinement, sont les rencontres des producteurs avec les anciens, ils sont parfois sollicités pour récupérer le courrier et aller le poster, changer la bouteille de gaz, ils rendent service et répondent aux besoins des personnes. Cet élan de solidarité va bien au-delà de la seule dimension financière, la relation humaine est valorisée par ces gestes d’entraide.
Les difficultés rencontrées au quotidien font que les gens sont plus proches aux abords des marchés, ils se parlent plus et s’entraident davantage.
La fermeture des services publics, la poste, la banque… est déjà une difficulté pour les personnes isolées, si les marchés n’avaient pas été ré ouverts, cela aurait accentué ces problèmes. Et encore nous sommes un département actif, ce qui n’est pas partout pareil.
Par rapport au Covid19, la grosse inquiétude par rapport au lait, c’est le lait en abondance et il nous faut réduire la production, il n’y a plus de possibilité de livrer au-delà de la France. On voit que toujours produire plus n’est pas bon. Nous défendons depuis toujours l’idée de la régulation de la production, et on voit aujourd’hui face à la catastrophe que nous avons raison.
En 2015 les quotas laitiers ont été enlevé, et cela n’était parait-il pas un problème, que le lait allait se vendre et aujourd’hui on est clairement face au problème. Le prix du lait dépend de la commercialisation en interne propre au pays et aussi à l’externe, mais aujourd’hui tout est bloqué, on ne va pas envoyer du lait en Asie ! Ce n’était déjà pas cohérent avant, ça l’est encore moins aujourd’hui.
Pour la production de viande, c’est également catastrophique, les animaux ne sont plus vendus, lorsqu’ils ont prêts à partir il faut continuer à les alimenter. Après ils seront trop lourds, c’est vraiment une grosse inquiétude pour les éleveurs, alors même que c’était déjà compliqué pour eux avant. D’où l’importance de la réouverture des marchés. Mais c’est lent et les producteurs souffrent !