Il faut dénoncer les drames à huis clos qui se passent dans certaines maisons de retraite. Libérer les paroles des personnes âgées et des familles. Penser autrement les fins de chemins de nos aînés, questionner les choix sociétaux,Imaginer d'autres possibles que l'EHPHA. Prendre une place citoyenne pour faire bouger les lignes que plus jamais ne se reproduise la négligence et la maltraitance qu'a vécu hélas ma maman.
Ma mère est morte seule à la maison de retraite. Elle y était depuis un an. Une année où son état s’est dégradé par étapes.
L’EHPAD où elle vivait a rarement été à la hauteur. Tout y était compliqué. Bien sûr, il y avait les carences habituelles : rares douches, personnel non formé, turn-over des soignants, mais aussi le sentiment que trop souvent les résidents étaient traités comme des objets.
Mercredi 11 mars : fermeture de l’Ehpad où vit ma mère. Une guerre vient de se déclarer contre un fichu virus, il faut se confiner !
Cela faisait juste quelques jours que je n’avais pas vu maman. Elle a des troubles cognitifs importants, une sale maladie que l’on appelle Démence à Corps de Lewy. Je lui rends visite 2 à 3 fois par semaine.
Et là, tout s’arrête !
L’inquiétude s’installe (on sait qu’on va devoir attendre longtemps avant de pouvoir la revoir) : que va-t-elle devenir sans la présence quasi-quotidienne de ma sœur et moi ? Plus de kiné non plus : elle venait au minimum 2 fois par semaine, et elle était un repère important, elle appréciait et attendait ses venues. Que va-t-elle penser de ne plus nous voir ? Elle va se sentir abandonnée, perdre ses repères affectifs.
Je sais que c’est un sacré bouleversement pour l’organisation des soignants. Il va me falloir attendre pour savoir quelle organisation sera mise en place pour avoir un contact avec maman.
L’attente est longue, un sentiment d’impuissance s’installe, il me faut être patiente, guetter un mail de l’ephad… L’idée de possibilité de Skype est retenue. Avec ma sœur, on se questionne : est-ce adapté à notre mère vu ses troubles cognitifs ? Cela sera-t-il bénéfique pour elle ou anxiogène ? Ma sœur questionne l’équipe soignante…
On ne sait pas ce qui est bien pour maman. Nous finissons par accepter un skype.
Une date est proposée : le 21 mars. Une crainte s’installe alors en moi : va-t-elle me reconnaître ? Comment sera-t-elle ?
Le skype se fait alors avec l’animatrice qui fait l’interprète, maman ne m’entendant pas. Elle ne parle pas, son regard est hagard, elle sourit juste quand elle me voit, qu’elle voit mon conjoint et mes enfants. Le sourire est figé. Son unique propos sera « tu viens me voir ? ». Et là, surtout rester stoïque, ne pas pleurer devant elle ! Je peux juste mentir et lui dire que j’espère venir la voir très bientôt ! Pieux mensonge, je sais pertinemment que çà sera dans très longtemps. Le Skype s’arrête, le temps est limité, il y a d’autres familles qui attendent leur tour !
Quand aura lieu le prochain Skype ? Pas de réponse… On peut envoyer des photos à maman si on veut…
Ma sœur prend régulièrement des nouvelles auprès de l’équipe soignante et toujours la même réponse : « elle va bien, tout va bien, elle n’a pas changé ».
Un nouveau sentiment s’installe, la colère. Je ne peux pas croire qu’elle aille bien, pas avec ses troubles, je sais qu’elle ne peut que régresser sans nos visites, sans celles de la kiné. Le confinement aura forcément un impact sur sa santé, peut-être qu’elle ne sera pas contaminée par ce virus, mais le pire n’est-il pas les risques de glissement de pathologie. Va-t-elle se laisser mourir de tristesse, d’abandon, de manque d’amour ?? Je suis en colère, je ne peux rien faire…
J’envoie une photo de mon jardin avec un petit mot, je sais que cela lui sera transmis. J’aurais aimé avoir un retour : comment a-t-elle réagi ? Elle en a dit quelque chose, elle a souri ?
Et puis, les jours passent, la tristesse s’installe. Je pense à maman, quelle drôle de vie qu’elle a eue, et là ne pas pouvoir être auprès d’elle pour l’accompagner, lui faire des bisous, l’aider à manger, prendre soin d’elle, me rend profondément triste. Je l’imagine seule dans sa chambre, attachée à son fauteuil, le regard vide, et je suis triste. Elle doit nous attendre ? A moins que son état de santé se soit dégradé, au point qu’elle n’ait plus conscience de son environnement extérieur.
Très peu de nouvelles, un envoi de photos sans retour, pas de skype… Et les jours passent… Plus de contact avec ma mère, j’ai l’impression qu’elle est morte. Pleurs, tristesse, regrets sont au rendez-vous…