Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Robert Gouin, je suis paysan retraité à Campbon et bénévole à l’Association Solidarité Paysan en Loire Atlantique . J’étais avant éleveur de vaches laitières et ma formation de militant a démarré au MRJC, au CMR plus exactement, puis dans les syndicats « travailleurs paysans » et « Confédération Paysanne ».
Je suis aussi par ailleurs membre d’une équipe CMR de mon secteur.
L’association en Loire Atlantique s’appelle « SOS Paysans en difficulté 44 » et fait partie du réseau « Solidarité Paysan », j’en suis membre depuis les années 1986, dès sa création.
« SOS Paysans en difficulté » c’est une quarantaine de bénévoles plus une permanente, travailleuse sociale, qui nous aide à monter les dossiers et à rencontrer les différents interlocuteurs.
On intervient auprès d’agriculteurs-trices qui nous en font la demande, on ne va pas voir les gens s’ils ne nous demandent pas d’intervenir. Soit pour des problèmes financiers, sociaux, familiaux, de santé, parfois tout en même temps et souvent beaucoup d’éléments interviennent. On suit une cinquantaine de personnes, des célibataires, des couples, des familles, et on prend en compte tous les membres de la famille à chaque fois. Il y a tout type d’exploitation, des grandes, des plus petites. Il y a des personnes proches de la retraite et des jeunes aussi.
Nous avons remarqué depuis 3-4 ans une évolution de personnes en difficulté. Avant c’était plutôt par manque de mises en œuvre pour le développement de leur exploitation, aujourd’hui ce sont des gens qui ont investi et qui se trouvent avec des charges de travail et financières importantes. Ce qui est nouveau aussi, ce sont les dettes qui ne viennent plus des créanciers du réseau habituel comme les banques ou les coopératives (qui elles ont pris des garanties pour être payées, jusqu’au au dernier moment), mais faites auprès de la famille, des CUMA, du voisinage, de l’artisan du coin… cela complique les choses. Les emprunts sont à jour mais les dettes se sont reportées ailleurs, chez le vétérinaire, la CUMA, les assurances, le MSA ou le fermage, les factures ne sont pas réglées et cela complique les rapports entre les personnes.
Et le confinement ? quel impact sur les situations que vous suivez ?
En ce moment la situation est plus compliquée, on n’intervient plus directement depuis le confinement bien sûr. On garde le contact, c’est la consigne qui est donnée. Moi-même je téléphone aux gens que je soutiens, j’essaye de savoir où ils en sont, s’ils ont des problèmes particuliers. Les procédures judiciaires sont bloquées, s’il y avait des procédures de redressements ou de liquidations de prévu, elles sont ajournées, nous sommes donc en attente à ce niveau-là.
Même si on garde des contacts téléphoniques avec les différents contacts, les créanciers, les banquiers, les fournisseurs, tout est un peu suspendu, bloqué. Est-ce que cela pose des problèmes supplémentaires ? on n’arrive pas vraiment à le mesurer, mais on sait que cela peut être un vrai souci lorsqu’il y a des problèmes de trésorerie. Souvent malgré tout, dans les contacts que l’on a, on sent une certaine compréhension, face à une période très particulière. Souvent les créanciers ou les banquiers temporisent, et nous on essaye de gagner du temps !
L’autre problème c’est l’isolement. Souvent les personnes que nous accompagnons sont isolées et plus encore en ce moment. C’est là qu’il faut mesurer s’il y a des problèmes supplémentaires de la vie courante ; c’est plus ou moins perceptible parce qu’au téléphone ce n’est pas facile à voir, surtout si ce sont des personnes qui ont du mal à s’exprimer, qui n’ont pas l’habitude de parler spontanément, qui ne disent déjà pas facilement leurs problèmes. On essaye alors de savoir, s’ils ont des contacts avec les gens, s’ils n’ont pas des problèmes d’approvisionnement, de nourriture. Cela peut arriver, surtout pour des personnes qui sont fragiles psychologiquement ou ont des problèmes de santé ou d’addiction.
J’ai hâte d’aller retrouver les personnes que j’accompagne, je sais que pour certaines c’est difficile. Je pense à un monsieur par exemple qui ne peut plus être suivi en hôpital de jour pour ses problèmes d’addiction, là aussi tout est arrêté. C’est difficile parce qu’il est seul, nouvellement séparé de son épouse. Je ne sais pas dans quel état je vais le retrouver, c’est très inquiétant, quand je l’appelle tantôt il est bien, tantôt ça ne va pas… c’est compliqué.
On peut faire autrement aussi, souvent ces personnes sont suivies par des assistantes sociales, et nous sommes en contact. Normalement ce sont elles qui doivent nous appeler, non l’inverse. La travailleuse sociale de l’association est actuellement en télétravail et nous commençons à penser à l’après confinement, pour recommencer à faire les visites, en limitant le nombre des personnes bien sûr, mais nous souhaitons vraiment reprendre contact dès que possible.
On est un peu inquiet parce que le contexte actuel peut amener de nouvelles situations de personnes en difficultés financières, avec des demandes d’aides nouvelles à l’association. Pour l’instant il y en a eu peu, nous les avons mises en attente, mais nous savons qu’il risque d’y en avoir d’autres. On sait bien que les difficultés liées à la production de lait et de viande par exemple sont accentuées par la crise, le prix du lait est en baisse, on leur demande de moins produire ; au niveau des animaux c’est un conflit avec les abattoirs qui crée des nouvelles difficultés. C’est vraiment accentué.
Je pense que les affaires vont se déclencher après, en effet, souvent les gens appellent tardivement et lorsqu’ils reçoivent les courriers d’huissiers ou de créanciers un peu impératifs, les problèmes sont déjà là.