Frédéric Gervais est porte- parole de la Confédération Paysanne d’Indre et Loire. En activité depuis 1990, d’abord avec ses parents, puis avec des salariés, il dispose d’un troupeau de 60 vaches pour une ferme de 84 ha (il nous signale que pour l’Indre et Loire, c’est une petite ferme). Marié, père de 3 filles (1 en Normandie, 1 en Vendée et la dernière en Indre et Loire), il pense à la transmission. Il diminue son troupeau à 40 vaches, car il n’a plus qu’un apprenti pour l’aider (qui est présent 15 jours par mois). Il espère tenir ainsi « économiquement » et « physiquement ». L’autre problème principal s’avère être le changement climatique car il n’existe plus de régularité dans les cultures et la pousse de l’herbe est très irrégulière ; ainsi « nourrir les vaches » devient un problème. Normalement, les bêtes sont en système herbe 8 à 9 mois par an or cette conduite en pâturage évolue tous les ans : « on doit s’adapter tout le temps et cela demande beaucoup d’énergie », ce qui va jusqu’à se demander s’il ne faudrait pas changer d’élevage…
En ce qui concerne la transmission, un salarié a failli reprendre et puis il s’est désisté ; du côté des enfants, c’est plutôt non, bien qu’une des filles de la famille soit en Basse Normandie dans une chambre d'agriculture en tant que technicienne lait,
Nous avons posé la question du passage en bio : « Je l’avais en tête mais il est trop tard car cela aurait supposé que je crée une fromagerie pour être rentable. On voit bien aujourd’hui que la baisse du prix du lait bio engendre des problèmes pour certains éleveurs bio. Ne faire que du lait bio pour les grandes surfaces, je n’en vois pas l’intérêt. En plus, comme j’envoie mes génisses à l’extérieur, le passage en bio aurait impliqué qu’elles restent sur place et il fallait alors réinvestir dans un bâtiment et me former. Par ailleurs au niveau des cultures que je fais en parallèle de l’élevage (céréales et fourrages), je suis en non labour et je travaille le sol au minimum or le bio nécessite de désherber avec plus de main d’œuvre ».
L’épouse de Fréderic travaille à l’extérieur de la ferme, c’est presque une nécessité financière et en tout cas cela constitue une certaine garantie de revenus. Cela a permis à Frédéric Gervais de ne pas « intensifier » : ni trop d’azote, ni trop de pesticide, pas trop d'investissement pour rester autonome, dans le département, dans les fermes intensives, l’épouse travaille également, il n’y a plus de limites…
A propos de la Confédération Paysanne : elle défend tous les paysans mais il y a de plus en plus de paysans bio en proportion. Pour la confédération Paysanne d’Indre et Loire, il n’y a pas d’enjeux spécifiques mais il y a un gros travail d’accompagnement pour aider à la transmission et accompagner les porteurs de projets pour une installation, il y a aussi le positionnement face au changement climatique : la COP 26 a été catastrophique dans la non-décision. « Y aura-t-il une limite à l’argent et aux lobbies ? »
Dans la confédération paysanne d’Indre et Loire, il y a pas mal d’agriculteurs issus du monde ouvrier, ayant quitté l’industrie pour le monde agricole et on travaille beaucoup sur le partage des connaissances ouvriers/paysans et sur le changement de modèle agricole par des néo-ruraux issus de tous les horizons. Le but est de sortir du modèle industriel et de retrouver une autonomie.
Au niveau du territoire d’Indre et Loire : dans le département, il existe une laiterie non industrielle (à Verneuil/Indre, qui reçoit le lait de 130 producteurs de lait de vache). Pour ce qui est du lait de chèvre, il existe 4O producteurs indépendants, c’était 80, il y a 10 ans mais c’est le résultat des difficultés économiques et du passage à la retraite de certains. Le problème est que dès qu’un producteur-éleveur disparait, les prairies sont rachetées et les terres passent en céréales (il y a moins de travail physique et plus d’aides). Le lait est de moins en moins rémunérateur pour les producteurs-éleveurs français. (« On est fier de son travail mais s’il n’est pas rémunéré on n’en devient plus fier ! »)
« Jusqu’à présent je vends mon lait à Agrial une très grosse coopérative, mais à partir du 1er janvier 2022, je suis heureux de changer, je vais vendre mon lait à Verneuil, en local, crée en 1906, Comme les éleveurs deviennent plus rares, ils recherchent de nouveaux producteurs et mon lait sera mieux rémunéré car je vais mettre en valeur un cahier des charges (pâturages etc…), le délice de Touraine. En ce sens, on peut parler d’être acteur du développement local ! Il existe une bataille énorme entre les transformateurs et les centrales d’achat qui ne permet pas d'évolution positive du prix du lait. Pour le moment la région et le département essaient de garder leurs petites industries.
Quel combat est-il possible pour préserver ces petites coopératives ? Politiquement la communauté de communes du Sud Touraine protège sa laiterie mais au vu de l’orientation de l’agriculture vers toujours plus d’agro-industries, il faut que cela soit pérenne. Il faudrait aussi revaloriser le lait car les jeunes ne travailleront pas indéfiniment pour rien (d’autant qu’il y a un changement de mentalité au niveau du travail, qui n’est plus considéré comme valeur suprême)
La mobilisation de la confédération Paysanne a également été importante au niveau de l’eau : contre les bassines (ailleurs aussi, dans les Deux Sèvres par exemple), contre la méthanisation, contre le photovoltaïque au sol (qui doit son existence au gain qu’ils apporteront aux propriétaires de grandes surfaces qui ne font pas cela par souci de la terre mais pour percevoir plus d’argent dans une période où les rendements baissent).
La confédération paysanne permet de ne pas être seul et de mutualiser les forces. Il y a un travail qui se fait sur la SSA (sécurité sociale de l’alimentation) grâce à des formations, sur l’alimentation et de manière plus générale sur 3 points : installation, changement climatique et lien entre dignité, salaire et choix alimentaire), avec le CCFD, et d’autres. Ce qui est importants, c’est le lien des paysans avec les citoyens. Il y a eu rapprochements avec les gilets jaunes et les cheminots (on ravitaillait les piquets de grève en nourriture » (« il y avait 2 à 3 personnes de la conf’ »).
Au niveau du changement climatique, ma grosse question est celle-ci : arriverons–nous à aller assez vite ? la pousse de l’herbe, la gestion des plantes fourragères, le rendement du blé et des autres céréales sont touchés. En Indre et Loire, les vignerons connaissent aussi des problèmes de teneur en alcool qui augmentent. Personnellement, nous avons replanté des haies (3km, il y a 20 ans) mais les chiffres proclamés au niveau national du style : « On replante 7000 km de haies par an en France », c’est de la foutaise car il s’en arrache parallèlement autant et en plus il n’y a plus d’entretien des haies comme auparavant. « Au niveau agroforesterie, (arbres plantés dans les champs), on va vers une rupture de plants car ils proviennent de l’étranger ».
Il existe des GDA (groupement de développement agricole). Il vaut mieux diminuer en production et être par ailleurs plus autonome mais en général les intensifs ne peuvent supporter de diminuer leur production (et c’est la course aux machines, à l’agrandissement, aux intrants… et parallèlement la diminution de l’autonomie). Malgré tout, pour moi, même si je suis plus autonome, la situation reste assez fragile, car j’ai beaucoup de travail, avec le changement climatique la chaine de récolte est plus complexe, de même que la gestion de la qualité de l’herbe (« le fourrage protéinique ne peut être loupé au printemps car sinon il est consommable par nos vaches mais il n’a plus assez de valeurs pour permettre aux vaches de produire du lait et on doit complété par des tourteaux »). Physiquement : « Quand l’âge avance, on se dit : si j’avais investi dans une meilleure salle de traite, j’aurais moins mal aux bras… »
Par rapport à la PAC, quelle est la position de la Confédération paysanne ? C’est la volonté d’avoir une PAC qui sorte de « plus d'hectare égal plus de primes », qui soit plus relative à l’actif et qui rémunère tous les producteurs. Il y a le problème du non plafonnement des aides. En Indre et Loire, le potentiel de terres est très hétérogène. Cela oriente les agriculteurs vers le photovoltaïques et la méthanisation pour valoriser leurs surfaces (avec les bassines également). Et le gouvernement, l’état valide complètement.
La structure syndicale en Indre et Loire est à peu près celle-ci : FNSEA 50%, Coordination 30% à 35%, Confédération paysanne 15% mais il n’y a pas de conflits ouverts entre syndicats au niveau local. Il faut savoir que des agriculteurs vont parfois à la FNSEA seulement pour la comptabilité et le service juridique qui est fourni (les adhérents mobilisés ne sont pas plus nombreux que nous, souvent). Les antagonismes sont notoires au National mais pas en local. C’est parfois lié à une personne. A la confédération paysanne d’Indre et Loire, il y a 95 membres. Il y a un énorme vivier de jeunes qui passe par l’ADAR mais on ne les retrouve pas à la Conf’. L’engagement est difficile. C’est grave pour l’avenir de la Conf’. (Mais c’est dans tous les domaines…)
On relance l’école paysanne pour que les plus jeunes et les plus vieux puissent se rencontrer et se parler afin de savoir ce que les jeunes voudraient, ce sera une formation autogérée par les jeunes, il pourront apprendre ce qu’est un syndicat. Il y a 5 -6 ans cela s’était terminé en confrontation jeunes-vieux car les ainés avaient trop pris les choses en mains. Il y a 2 écoles paysannes : une dans le Nord et une dans le Sud Touraine, le problème est comment amener les jeunes à l'engagement.
Les plus jeunes veulent continuer à vivre en famille, à aller au ciné après le travail…ça remet en cause les syndicats…même pour le financement : idem la cotisation à 30 ou 40 € parait trop chère, les priorités sont différentes, et quelques fois ces jeunes nous disent qu’on ne fait rien (j’ai reçu une lettre pendant le covid d’un jeune réclamant une action alors qu’on ne l’avait jamais vu), alors que le travail qui est fait par le syndicat est énorme. Les jeunes agris nous parlent de charge mentale (en nous disant cela ils imaginent que pour nous avant c’était différent, les vieilles générations ont vécu les mêmes choses). Il faut dire que certains jeunes agris (trop bucoliques) perdent leurs illusions en s’installant et doivent finir par arrêter car c’est trop dur.
Par rapport au film « Au nom de la terre », on voit que le travail de l’épouse peut être un oxygène, de même que les conseils de diversification. C’est vrai que le paysan a sa part de responsabilité mais il existe une pression, d’une sorte de critère de normalité qui dit qu’une bonne ferme a 150 ha et 100 vaches. « Pour ma part, il a fallu que je reste maître du système et résister pour ne pas recourir à l’emprunt » ‘Aide 37’ est géré par la chambre d’agriculture, les syndicats cotisent. ‘Solidarité Paysan’ est régional. Le nombre de dossiers a dû augmenter mais on n’a plus trop de nouvelles de ‘Aide 37’. On est peut-être écarté en tant que syndicat. Sinon Terres de Liens et le GFA permettent l’installation. En ce qui concerne l’achat de terre par les étrangers en Indre et Loire, c’est sûr que les chinois et les agro-industries achètent des terres et à cela s’ajoute la bétonisation des terres. L’accaparement des terres se fait aussi par les gros groupes industriels, avec les projets de bassines, de méthanisation et de photovoltaïques dont l’état proclame que c’est pour un développement durable alors qu’il n’en est rien, ces choix portent atteinte à la liberté du paysan. Depuis le 6 nov.2021 la FNSEA a demandé l’exclusion de la Conf’ de toutes les instances institutionnelles suite à la dégradation d’une bassine.il y a surenchère a la provocation. Il faudra de la solidarité entre nous pour défendre la même cause. Le 10 /11, le secrétaire national de la Conf’ faisait une conférence de presse devant le ministère de l’agriculture, il s’est fait viré par les forces de l’ordre. Heureusement en local nous avons une bonne entente et écoute de la DDT (partie adm.de l’Etat).
Connaissez –vous le CMR ? Mes parents étaient au CMR et moi, j’étais au MRJC. Je n’ai pas ressenti le besoin de faire comme mes parents et puis je me suis investi ailleurs. Dans la région, le CMR et le MRJC se sont étiolés. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir été au MRJC qui m’a poussé à prendre des responsabilités dans la Conf’, mais j’ai de bons souvenirs de rassemblements MRJC. [NB : il existe 6000 membres CMR en France, beaucoup sont à la FNSEA mais la tendance va de plus en plus vers la Confédération Paysanne qui a des valeurs de solidarité plus proches du CMR].
Pendant le confinement, On a eu une dynamique dans l’Indre et Loire pour centraliser les lieux de vente. On pensait que le monde allait changer mais il y a essoufflement car c’est plus facile d’aller en hyper pour le consommateur. La préfecture avait pourtant agi dans notre sens en produisant une carte indiquant tous les producteurs (au départ ce n’était que les FNSEA mais ensuite ce fut tous les producteurs). En production laitière, il n’y a pas eu d’impact particulier, en plus on a eu une aide à la diminution de production. Il n’y a pas eu de crise majeure sur la vache mais en chèvre, il n’y avait plus de départs de chevreaux (beaucoup achetés par l’Italie et le Portugal) pour les repas.
Quel ancrage dans votre ferme ? Cela fait 4 générations que la famille est ici à la Boursauderie, Le problème de la transmission est de savoir si ce sera pour de l’élevage quel qu'il soit ou des céréales. En transmettant la ferme je dois quitter ma maison, c’est dur…Ce sera dans 4/5 ans normalement, donc je n’investis plus dans des infrastructures car cela ne sera pas forcement valorisé. J’ai changé de tracteur en crédit-bail, c’est très bien ainsi car trop de matériel pèse quelquefois sur le rachat d’une ferme.
Merci à Vincent Peltier, membre CMR d’Indre et Loire de nous avoir mené auprès de Frédéric et d’avoir participé à la discussion.
Merci à Frédéric Gervais et à son épouse pour leur accueil à la Boursauderie.
Propos recueillis par
Sylvie Moyart APF59, Florence Huet APF44 et Marie Laure de Noray Equipe Nationale.